Web 3.0

Published on   Sunday, August 20, 2006
by  John Garner
Traduction de l'article Web 3.0 en français, publié dans le magazine A List Apart, illustration de Kevin Cornell et écrit par Jeffrey Zeldman
16, Janvier 2006
Web 3.0

Google, avec la coopération de bibliothèques prestigieuses, numérise des livres pour les rendre consultables. Cette expérience passionne les futuristes mais irrite certains éditeurs. La numérisation crée nécessairement des copies virtuelles. Les éditeurs revendiquent qu'une telle duplication enfreint le copyright, même si le contenu du livre est caché du public. La Bibliothèque nationale de New York, un des partenaires de Google dans ce projet, a récemment animé un débat public sur le sujet.

C'est en assistant à ce débat que mon embarras avec le battage médiatique qui entoure un genre émergeant de développement web s'est transformé en haine déclarée.

La grande salle était pleine. Il y avait plus de détenteurs de tickets que de chaises. Toutefois la chaise devant moi demeura vide. Chaque fois qu'un spectateur debout plein d'espoir s'approchait de la chaise vide—ce qui arrivait toutes les deux ou trois nanosecondes—le pauvre ballot assis à côté devait expliquer d'un air contrit, “Désolé, la chaise est occupée.”

Il est devenu vite clair que le sympathique ballot imbécile réservait la chaise, non pas pour un ami ou collègue, mais pour un inconnu qui lui avait imposé cette responsabilité. Pendant que ce brave type défendait le trône de l'autre contre un flot continu de détenteurs agacés de tickets, l'inconnu se trouvait quelque part en train de s'envoyer le champagne gratuit de la bibliothèque. Je me demandais quel type de crétin demanderait à un inconnu de lui garder une place pendant trente minutes lors d'un événement ou on en manque. Quand il est arrivé, j'ai eu la réponse.

Un goût d'âne

“Etiez-vous à la conférence Web 2.0 ?” lança l'homme qui arrivait, en guise de remerciement à l'autre pour lui avoir gardé sa place. Le sympathique ballot lui fit signe que non. C'était tout l'encouragement dont notre homme avait besoin pour se lancer dans un monologue, riche en adjectifs et pauvre en données, à voix suffisamment haute pour que la moitié de la salle l'entende.

Il apparu rapidement que “Web 2.0” était un événement non seulement plus important que l'Apocalypse mais aussi plus rentable. Rentable, ceci dit, pour les investisseurs comme celui qui parlait. Mais la nouvelle ruée vers l'or ne doit pas être confondue avec la bulle Internet des années 90:

“Web 1.0 n'était pas perturbateur. Vous comprenez ? Web 2.0 est totalement perturbateur. Vous connaissez le XML ? Vous avez entendu parler du sémantiquement correct? OK. Enfin, de toute façon”

Et ainsi de suite, comme la perceuse d'un dentiste au Goulag.

Au début je tolérai la douleur en modifiant mentalement la célèbre scène d'Annie Hall :

LUI “J'enseigne dans un atelier de capital risque, donc je pense que la perspicacité des mes vues sur le XML ont beaucoup de validité.”

MOI “Ah vraiment ! Parce qu'il se trouve que j'ai Mr Bray ici même.”

Plus tard je me suis rongé les doigts. A un moment, comme sous l'emprise de la fièvre, il se peut que j'aie gémi. Par bonheur, les lumières ont enfin baissé et les vrais orateurs de la nuit ont sauvé la soirée.

Mais l'âne dont j'ai dû endurer les braiements m'a laissé un mauvais goût dans la bouche.

Moins de bruit, plus de signal

Je vous propose de définir et démentir.

Le pauvre type au débat à la bibliothèque aimait entendre le son de sa voix, et le problème avec le bruit vient du fait qu'il interfère avec les signaux. Qu'est-ce que le signal ? Que signifie “Web 2.0” si tant est qu'il y ait un sens ? Quelle est la chose intéressante que le battage médiatique risque de masquer ?

Eh bien, plusieurs choses semblent intéressantes, à mon sens.

Quelques petites équipes de personnes à l'esprit vif—des personnes qui travaillaient, peut-être jadis pour des gens qui voient moins clair—suivent désormais leur propre inspiration et conçoivent des applications intelligentes du Web. Des produits comme Flickr et Basecamp sont amusants, bien faits et simples à utiliser.

Cela n'a peut-être pas l'air de grand chose. Mais nous avons un média dans lequel, la plupart du temps, des équipes importantes travaillent dur, lentement et à grands frais pour produire des applications du Web trop complexes avec une convivialité quasiment nulle pour des clients ayant au mieux des objectifs flous.
La prise de conscience que de petites équipes autogérées, fonctionnant selon le Principe de Pareto, peuvent rapidement créer des choses plus soignées qui fonctionnent mieux n'est pas seulement tonifiant mais dynamique. De même qu'une centaine de groupes de musique garage ont surgi avec chaque album de Velvet Underground vendu, de même la prise de conscience du fait qu'une petite équipe réussit, pousse cent autres à essayer.

Les meilleurs et les plus célèbres de ces nouveaux produits Web (c'est-à-dire les deux que je viens de citer) favorisent la communauté et la collaboration, proposant des méthodes novatrices ou améliorées d'interaction personnelle et commerciale. En vertu de leurs vertus, ils dominent leur catégorie, ce qui est bien pour les créateurs, parce qu'ils sont rétribués.

C'est bien aussi pour notre industrie, parce que la perspective de gain incite les concepteurs astucieux, qui hier recevaient passivement des ordres, à se mettre à réfléchir à la convivialité et le design, et à commencer à résoudre des problèmes dans un secteur qui peut devenir le leur. De cette façon, certains créeront peut-être des emplois et de la richesse. Et même lorsque le pactole est moins important, ces concepteurs peuvent placer plus haut le niveau de design et de convivialité. Ceci est bon pour tout le monde. Si les consommateurs peuvent choisir de meilleures applications qui coûtent moins cher ou sont gratuites, alors le Web fonctionne mieux, et les clients vont probablement demander du travail bien fait (facile à utiliser, bien-conçu) plutôt que l'habituel travail de pacotille.

Et ça tourne rond

En plus de favoriser des solutions simplifiées, conçues par des équipes réduites, tout ce qui porte le label “Web 2.0” a tendance à avoir similitudes technologiques.

Côté back-end, cela fonctionne souvent avec des technologies open-source comme le PHP ou (particulièrement) Ruby on Rails.

Côté utilisateur, c'est principalement construit avec les standards du Web—CSS pour la mise en page, le XML pour les données, le XHTML pour le markup, Javascript et DOM pour le comportement—avec par-dessus le marché un peu de Microsoft.

Lorsque les standards du web avec en plus un peu de Microsoft sont utilisés pour créer des pages pour interagir avec le serveur sans rafraîchir, il en résulte des applications Web qui vous donnent une impression dynamique et, permettons nous de le dire, ressemblent à du Flash. Dans un livre blanc, qui a en fait été lu, l'écrivain/consultant Jesse James Garrett a donné un nom à ce que je viens de décrire. Il l'a appelé AJAX, et l'acronyme n'a pas seulement pris, cela a aidé l'interactivité fonctionnant avec ces technologies, à améliorer l'intérêt sur le marché.

C'est là que les petits malins éblouissent les personnes facilement désorientées. Considérez ce scénario :

Steven, un jeune génie du Web, vient juste de fêter son bar mitsva. Il a reçu une douzaine de cadeaux et doit écrire une douzaine de mots de remerciement. Etant très Web, il crée un “Générateur de Mots de Remerciement”. Il montre le site à ces amis, qui le montrent à leurs amis, et rapidement la fréquentation du site vient de bénéficiaires de toutes sortes de cadeaux, pas seulement des bar mitsva.

Si Steven a créé le site avec des CGI et sous Perl avec des tables pour la mise en page, c'est l'histoire d'un garçon qui a fait un site pour son amusement personnel, gagnant peut-être des points dans l'opinion. Il se peut même qu'il contribue à un panel interactif du SXSW.

Mais si Steven a utilisé AJAX ou Ruby on Rails, Yahoo payera des millions et Tim O'Reilly le suppliera de se charger du discours-programme.

Qui versera des larmes pour AJAX?

Marquons un bref temps d'arrêt, pour considérer deux casse-tête relatifs à AJAX.

Le premier touche les personnes qui créent des sites Web. Le 'wireframing' (maquettage fil-de-fer) d'AJAX est une saloperie. La meilleure solution que notre agence ait pu trouver est la méthode Chuck Jones : dessiner les séquences essentielles. Chuck Jones avait un avantage, il savait ce qu'aller faire Bugs Bunny. Nous devons déterminer toutes les choses que peut faire un utilisateur, et créer un 'wireframe' (maquette fil-de-fer) de tous ces heureux moments de possibilités variées.

Le second souci concerne tous ceux qui utilisent des sites fonctionnant avec AJAX. Si les signifiants et conventions Web sont toujours dans leurs premiers balbutiements, alors les signifiants et conventions relatifs à l'AJAX sont 'in utero'. Je découvre encore des fonctions Flickr. Pas des nouvelles fonctions—des anciennes. Vous en trouvez en cliquant sur des espaces blancs vides. C'est comme lire les nouvelles en versant du détecteur d'encre invisible ACME sur tous les morceaux de papier que vous trouvez sur votre chemin en attendant que vous trouviez celui qui contient des mots.

Je ne dénigre pas Flickr. J'adore Flickr. Si seulement j'étais aussi doué que les personnes qui l'ont créé. J'attire tout simplement l'attention sur des problèmes complexes de conception qui ne seront pas résolus du jour au lendemain ou par un seul et même groupe. Dans Ma.gnolia, qui est désormais en version beta, nous avons utilisé de petites icones pour indiquer que des actions supplémentaires pouvaient être effectuées et donner une idée de ce que ces actions pouvaient être. Nous avons réussi dans la mesure où des dessins de 16 par 16 px peuvent communiquer des concepts tels que “vous pouvez éditer ces mots en cliquant dessus.”

Ces problèmes et d'autres seront résolus, très probablement par quelqu'un qui lit cette page. On soulève ces questions surtout pour ébranler un trop plein d'euphorie irréfléchie. Nous avons déjà suivi cette voie auparavant.

Bulle, Bulle

Quand j'ai commencé à concevoir des sites Web, si le type dans l'avion assis à côté de moi me demandait ce que je faisais, je devais dire quelque chose comme le “marketing numérique” si je voulais éviter un regard perplexe.

Quelques années plus tard, si je disais au passager d'à côté que j'étais concepteur web, il ou elle me regardait avec la vénération réservée aux vainqueurs de la Coupe Stanley, prix Nobel, Stars du rock.

Puis la bulle éclata, et la même réponse à la même question provoquait des regards de pitié et dégoût à peine voilé. Je me rappelle avoir rencontré un entrepreneur de haut vol au début des années 2000 qui m'avait demandé ce que je faisais. J'aurais dû lui dire que je trainais dans les cours d'école, à voler l'argent de poche des enfants. Il aurait eu plus de respect pour cette réponse.

J'ai détesté la bulle. Je l'ai détestée lorsque Vanity Fair ou New York Magazine traitaient les créateurs d'agence Web comme des célébrités. J'ai détesté le fait que le média classique et la société qu'il informait ignoraient le Web ou le prenait à tort pour une version électronique de l'industrie de la mode.

Quand la bulle a éclaté, ces mêmes génies ont décidé que le Web n'avait pas le moindre intérêt. L'amusant est que, pour moi c'était plus intéressant que jamais. Pour moi il s'agissait de personnes et d'organisations publiant du contenu qui sans cela n'aurait pas vu le jour. C'étaient des petites entreprises aux buts réalistes produisant de la valeur et prenant de l'importance. C'étaient des éditeurs traditionnels qui suivaient la voie d'un nouveau média numérique, aidé par des gens comme vous et moi. C'étaient de nouvelles manières de parler, de partager, d'aimer, de vendre, de soigner et d'être. Certainement pas morose.

Finalement les profanes ont cessés de voir un terrain vague et ont commencé à voir les blogueurs, ce qui à leurs yeux voulait dire les blogueurs qui traitent de politique, la plupart du temps de l'extrême gauche ou droite. Le Web était “de retour”, même s'il n'était jamais parti. (Evidemment, la cinquième fois que vous entendez Wolf Blitzer dire “blogueur” ou demander “qu'est-ce que les blogueurs ont à nous raconter sur ces événements qui se déroulent en ce moment même ?” la blague est éculée. Et vous préféreriez que ceux qui ne comprennent pas le Web se mettent à l'ignorer de nouveau.)

Mais rien, même pas les divagations des blogueurs politiques, n'était aussi excitant que l'odeur de l'argent. Lorsque les premières propriétés “Web 2.0” correctement évaluées commençaient à trouver des acheteurs, une frénésie comme celle qu'on avait connue est réapparue dans toute son horreur. Yahoo a dépensé combien ? Google a acheté quoi ? C'était vraiment comme du sang dans l'eau.

Mais comment convaincre les autres requins de l'aquarium que ce festin de sang était différent des précédents booms suivis de faillites ? Facile: rejeter tout ce qui précède comme “Web 1.0.”

Ce n'est que des châteaux qui brûlent

A vous, qui travaillez dur sur une application d'esprit communautaire fonctionnant sous AJAX- et Ruby, bonne chance, que Dieu vous bénisse, et amusez-vous bien. Rappelez-vous que 20 autres personnes travaillent sur la même idée. Donc restez simple et livrez cela avant eux et gardez votre sens de l'humour, que vous deveniez riche ou que vous fassiez faillite. Surtout si vous devenez riche. Rien n'est plus déplaisant qu'un multimillionnaire solennel.

Vous, qui vous sentez en échec parce que vous avez passé l'année dernière à affûter vos compétences Web et à servir des clients, ou à diriger une affaire, ou peut-être à publier du contenu, vous êtes des gens particulièrement sympathiques ; donc tenez bien haut votre joli tête, et ne les laissez pas voir vos larmes.

Pour ma part, Je vais me passer d'intermédiaire et sauter directement au Web 3.0. Pourquoi attendre ?

(Autres) Traductions
Espagnol (Alberto Romero)

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A propos de l'auteur

Jeffrey Zeldman publie A List Apart et The Daily Report, dirige Happy Cog Studios, a écrit Designing With Web Standards (New Riders, 2003), et co-fondé An Event Apart avec Eric Meyer. Wikipedia et Happy Cog ont des biographies.

 

 

Traduction de John A Garner avec relecture de Jean Tournier.

Note : en accord avec ALA, certains hyperliens anglais ont été substitués par des hyperliens équivalents en français (lorsque c'était possible).
Le sens d'un mot anglais peut changer, sans que le mot français change de son sens originel (voir le concept ici). Dans la mesure où un mot anglais est plus couramment utilisé que sa traduction française, cette dernière se trouve entre parenthèses. J'espère que cette approche évitera d'induire le lecteur en erreur.

Translated for and with the permission of A List Apart Magazine and Jeffrey Zeldman

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